Typothèque
1824 - Livre pour une petite fille bien sage
- Collection : Les bibliothèques de l'âge du plomb
- Série : Typothèque
- Titre : 1824 - Livre pour une petite fille bien sage
- Auteur : Jules DIDOT (texte) MMe COLIN (illustration) M. AUVRY (illustration)
- Type de contenu : Ouvrage didactique
- Date de parution : 1824
- Support : Imprimé 117 pages
- Caractéistiques : Livre relié - 117 x 189 mm
- Mots clés : caractère plomb , spécimen , document imprimé , imprimerie , ornements typographiques , typographie
- Référence : LEA-T-1896
- Format du master numérique : Fichier TIFF RVB 600 DPI
- Propriétaire du support : Collection Jacques André
- Détenteur des droits : Domaine public
- Statut juridique : Domaine public
Quelques commentaires sur le
Livre pour une petite fille bien sage
imprimé par Jules Didot chez Nepveu , Paris, 1824.
par Jacques André
En 1824 Jules Didot imprima un spécimen de caractères qui se voulait en même temps un livre de lecture pour « habituer les enfants à lire toutes sortes de caractères, depuis le romain et l’italique... jusqu’aux caractères d’écriture, en anglaise, en ronde et en gothique... », le Livre pour un petit garçon bien sage (édité par Nepveu à Paris). En même temps, ou peu après ?, il en imprima une version modifiée, le Livre pour une petite fille bien sage (toujours chez Nepveu, 1824). C’est cette seconde version que nous présentons ici en reprenant certains des propos de [1, p. 123 sqq].
Jules Didot
Jules Didot (1794-1871) est l’oublié de l’illustre famille Didot, malgré son génie inventif trop peu connu et un côté fantaisiste, parfois à l’excès comme le dit André Jammes [8]. En effet, Jules Didot a eu une maladie neurologique lui faisant terminer sa vie en hôpital psychiatrique, renié en quelque sorte par « la famille ». Fils de Pierre Didot (et neveu de Firmin, celui du point didot), Jules reprit en 1819 l’atelier paternel dont il s’occupa jusque 1925. Il part alors à Bruxelles pour quelques années avant de revenir s’installer à la limite de Paris (aujourd’hui près de Denfert-Rochereau) où il imprimera de nombreux livres et grava des caractères dont il publie en 1842 son Spécimen de la nouvelle fonderie de Jules Didot l’ainé (BNF et [6]).
Les deux livres-spécimens
Le Livre pour un petit garçon bien sage est annoncé dans Le Constitutionnel -- journal du commerce, politique et littéraire, 24 décembre 1823 puis dans Bibliographie de la France ou Général de l’imprimerie et de la librairie, 13e année, n° 2, 10 janvier 1824 et dans le Journal général de la littérature de France, ou Indicateur bibliographique, 1824.
Après le décès de l’éditeur A. Nepveu, son fonds de libraire est mis en vente le 28 octobre 1827. Le catalogue de la vente mentionne le Livre pour un petit garçon bien sage dans un lot de 440 exemplaires « auxquels seront jointes les pierres lithographiées et le cuivre gravé de la couverture. Ces mêmes pierres et le même cuivre servant aussi à l’ornement de l’ouvrage suivant : Livre pour une petite fille bien sage... »
La BNF possède un exemplaire du Livre pour un petit garçon bien sage (Tolbiac, RES P-R-985) ce qui nous permet de le comparer avec le Livre pour une petite fille bien sage qui est scanné ici.
Les deux ouvrages sont absolument identiques (même texte, même composition, mêmes caractères, mêmes illustrations), seules les mentions « petit garçon bien sage » étant changées en « petite fille bien sage » (et les, rares,occurrences de « il » devenant « elle »). Mais le contenu du livre reste cependant destiné à des garçons ; il y est question de défilés, de tambour, de dénichage d’oisillons, etc. Jamais de poupée. Quant à la leçon sur la chasse, trop masculine, elle n’est même pas « traduite » au féminin ! Toutefois, dans l’Avis en tête de cet ouvrage (vue 9*), l’auteur parle « des enfants » et non des garçons ou des filles. Par ailleurs les illustrations ont souvent été conçues pour les deux genres. Par exemple, la seconde leçon (illustrée par la première litho) commence par « Cette belle Table ronde est disposée pour y placer les joujoux du petit garçon [ou de la petite fille], etc. », mais le dessin présente deux enfants, un garçon et une fille.
La traduction de petit garçon en petite fille est simple et ne pose aucun problème de composition, seule une ligne (page 8) a dû être divisée différemment selon les versions. Toutefois, Jules Didot se trompe : page 51, la version masculine écrit « plus loin le petit garçon » et la version féminine... aussi alors que, page 50, il était question de « petite fille ». Cet exemple suffit à prouver que la version fille a été faite en corrigeant la version garçon, probablement dans la galée, et qu’elles ont sans doute été imprimées dans la foulée.
Les illustrations
Les images ont ici un rôle fondamental puisqu’elles doivent inciter les enfants à lire le texte correspondant. Jules Didot précise en effet (Avis, vue 5) : « On a pensé… que des images, soit lithographiées, soit politypées, auxquelles le texte aurait un rapport direct, en faisant naître chez les enfants le désir de lire chaque explication, inculqueraient dans leur mémoire les formes les plus difficiles et les plus bizarres des caractères d’impression et d’écriture. » Les textes ne sont donc que des commentaires d’images préexistantes.
Selon les pages de grand-titre, ce double ouvrage est « Orné 12 estampes coloriées dessinées par Mr et Me Colin, et Mr Aubry et d’une grande quantité de politypages ». Le catalogue de la vente Nepveu indique par ailleurs qu’il y a « le cuivre gravé de la couverture », sans doute celui en tête de la numérisation de l’exemplaire de la BNF, présentant une femme faisant la lecture à trois jeunes enfants. Cette couverture a disparu de l’exemplaire de la Petite fille numérisé ici.
Deux mots sur les douze estampes. Elles ont été dessinées par MMe Colin et M. Aubry. Seules quatre d’entre elles portent une signature (Aubry ou JA[ubry]), celles en face des pages 15, 36, 45 et 49. Les autres sont donc des Colin. Ces dessins ont été reproduits par lithographies qui sont signées « lith de Langlumé ». Ces trois noms (Aubry, Colin et Langlumé) sont répertoriés (parfois ensemble comme dans l’Album comique de pathologie pittoresque de Pigal, 1823) dans l’inventaire des graveurs de Beraldi [2] et de Gusman [7].
Les politypages sont plus intéressants, du moins ici dans un contexte de typographie ! Il y en a 23 (dans le corps du texte, en général en cul-de-lampe) plus 10 filets composés d’ornements. Ces politypes sont tout à fait dans le style de ce début de xixe siècle (voir [1, De la gravure sur bois aux vignettes polytypées, p. 46 sqq). Sans en faire ici un inventaire complet, signalons que beaucoup sont de Duplat (celles des pages 2, 6, 17, 22, 25, 53, 61, 62) ; certaines sont de Durouchail (p. 26), d’autres (comme celle p. 34) sont d’origine anglaise (souvent gravées sur bois de bout par Bewick, attestées dans le spécimen de Stephenson, ces vignettes sont présentes par exemple dans les spécimens des fonderies de Gillé/Balzac/Deberny ou de Tarbé, 1835) ; on voit ainsi (page 53) une vignette qui se retrouve dans le Spécimen des … vignettes de la fonderie de Laurent et de Berny, 1828 (N° 255 folio 19), reproduit par René Ponot [9]. Preuve que ces politypes ont vraiment beaucoup circulé à l’époque...
La typographie
Qu’ils soient destinés aux filles ou aux garçons, ces deux livres sont identiques point de vue composition. Regardons donc de plus près le Livre pour une petite fille bien sage, tel qu’il est numérisé ici, notre propos restant valable pour celui pour un petit garçon...
Le sous-titre de l’ouvrage précise : imprimé... en trente caractères ; depuis les plus gros et les plus simples, jusqu’aux plus petits et aux plus compliqués. Cet ouvrage est en quelque sorte un spécimen des types disponibles dans l’imprimerie, voire dans la fonderie, de Jules Didot. Ce dernier ne donne toutefois ni les noms des caractères utilisés, ni leurs corps (ni leur prix !). C’est, jusque plus informé, le premier spécimen de caractères qui ait cette forme livresque, quoique son père avait produit en 1819 son Spécimen des nouveaux caractères [4], justement dédié à Jules, sous forme d’une longue poésie composée dans toutes les forces de corps de son nouveau caractère.
Au sujet des forces de corps, signalons que « le plus petit » utilisé dans ce Livre pour une petite fille est le caractère de corps 3 (une demi-nompareille) que venait de graver Henri Didot (1765-1852), cousin de Pierre Didot (le père de Jules), inventeur du moule polyamatype avec lequel il fondit ce caractère exceptionnel [1, p. 120 et suiv.]. Jules s’en sert en dernière page de son livre (p. 79) pour composer la fable de La Fontaine, Le chien qui lâche sa proie pour l’ombre. Cette fable est parfois considérée comme la plus petite de La Fontaine (d’où son choix ici ?), mais en fait c’est Le Renard et les Raisins (qui ne fait que 8 vers).
Le plus grand caractère sert à composer le mot LIVRE de la page de petit-titre (vue 5) : ce sont des lettres ornées capitales de corps 48 (en didots bien sûr), c’est-à-dire un Double-Canon.
Entre ces deux extrêmes, toutes les forces de corps sont représentées. Dans les textes (en opposition aux caractères utilisés pour les titrages), les caractères sont toujours interlignés.
Jules Didot donne (Avis, vue 5) deux classes de caractères : d’une part le romain et l’italique employés généralement pour l’impression de tous les livres et, d’autre part, les caractères d’écriture, en anglaise, en ronde et en gothique.
La première classe comprend des caractères d’imprimerie classiques, mais aussi ces caractères de fantaisie qui naissent au début du xixe siècle [1, p. 262 et suiv.]..
- – Les caractères d’imprimerie (de labeur) ne comprennent que des didones ! Citons notamment :
D’abord, le caractère de Pierre Didot avec ses g et y caractéristiques dont il se sert pour imprimer le Petit carême de Massillon en 1812 [3] et dont il imprime le spécimen complet en 1819 [4]. Le romain est utilisé par son fils Jules ici dès la page 1, et l’italique dès la page 3 et se retrouvent pages 48-77 dans des corps/graisses différentes. Ces deux caractères sont « illustrés » en tête par un alphabet, montrant notamment l’existence de capitales accentuées – du moins les É, È et Ê – et celle de Ç, Æ et Œ.
Les pages 5 à 8 sont composées (en romain puis italique) avec le Didot classique de Firmin (1812), celui qui se retrouve ensuite dans les fonderies Tabé, Générale, etc.
Pages 9-10 = version Jules du Pierre de 1819 ?
En pages 11 à 14 on trouve des « normandes » qui sont plutôt des caractères de l’Anglais Figgins, importés en France vers 1820. - – Les caractères de fantaisie apparaissent dans les titres, mais aussi dans le texte courant :
Pages 16-17, et 27-28, des didones éclairées et ombrées ;
pages 17 et 29, des égyptiennes (au sens de « avec empattement épais et rectangulaires ») grasses, comme celles du spécimen de Balzac
page 18, un alphabet composé en italienne ; il semble que ce soit la même que l’on retrouve dans son spécimen de 1842 [5]
La seconde catégorie est formée des écritures gothiques et de françaises (usuellement manuscrites jusque vers 1800), la ronde et l’anglaise. Ces trois types sont réunis dans la seconde page de petit-titre (vue 11) où Livre est en ronde, pour en gothique et Une Petite Fille bien sage en anglaise.
- – Les gothiques : outre les grand et petit titres (la gothique de la seconde ligne du grand titre [vue 7], est celle que Jules Didot propose dans son spécimen de 1842 [5, p. 16]), on en trouve pages 39-40, 41-42 et 43-46 et dans quelques légendes.
- – Les rondes, outre les grands — et petit-titres, sont présentées en pages 19-20, 21-22, 23-24, 25-26.
- – Quant aux anglaises, elles apparaissent en pages 31-32, 33-34 et 35-36. Mais aucune n’est l’anglaise de Firmin Didot...
Terminons cet inventaire en faisant remarquer que la page de grand-titre (vue 7) présente 13 de ces caractères !
Références bibliographiques
[1] Jacques André et Christian Laucou, Histoire de l’écriture typographique – le xixe siècle, Atelier Perrouseaux éd., 2013.
[2] Henri Beraldi, Les graveurs du xixe siècle, Paris, lib. Conquet, 1890.
[3] Pierre Didot l’Ainé, « L’imprimeur au lecteur », en tête de Petit Carême de Massillon, en introduction à la Collection des meilleurs ouvrages de la langue françoise dédiée aux amateurs de l’art typographique, Chez P. Didot l’Ainé, ci-devant au Louvre présentement rue du Pont de Lodi, Imprimerie de P. Didot l’Ainé, Paris, 1812.
[4] Spécimen des nouveaux caractères de la Fonderie et de l’imprimerie de P. Didot, l’aîné... dédié à Jules Didot, fils..., publié par P. Didot, l’aîné, et Jules Didot, fils ; 1819.
[5] Specimen de la nouvelle fonderie de Jules Didot l’ainé, boulevard d’Enfer, à Paris, imprimé par Bethune et Plon, Paris, 1842.
[6] Spécimens de caractères de Firmin et Jules Didot, éditions des Cendres, 2002.
[7] Pierre Gusman, La Gravure sur bois en France au xixe siècle, Éd. Albert Morancé, Paris, 1929.
[8] André Jammes et Isabelle Jammes, Collection de spécimens de caractères, Éditions des Cendres, 2006
[9] René Ponot, La fonderie typographique de Laurent, Balzac et Barbier créée en 1827 par Honoré Balzac : réédition du Spécimen des divers caractères, vignettes et ornements typographiques de la fonderie de Laurent et De Berny dit de Balzac, avec un avant-propos de John Dreyfus, Éditions des Cendres, 1992.
*Les pages qui ne sont pas numérotées sont signalées ici par le n° de leur image, ou vues, du scan. Les autres sont signalées par l’expression page n, et renvoient aux pages foliotées (n) en haut du document original.